Dans ce gigantesque système de surveillance des communications personnelles, le plus irritant est la tyrannie, l’arrogance et le manque de retenue des agences américaines.
07.11.2013
Les questions soulevées par la violation du droit des citoyens à la vie privée par les agences de renseignement américaines ont fait la une des journaux depuis le déclenchement de la « guerre contre le terrorisme» à la suite des attaques terroristes du 11 Septembre 2001.
Pendant les premières années de l'administration Bush, la polémique s’est focalisée sur l'écoute électronique sans mandat, pratique de l'Agence nationale de sécurité (NSA) consistant à écouter des appels sur le téléphone intercontinental spécifique, sans l'autorisation de la Cour de surveillance du renseignement extérieur (FISC).
Mais l’agence s’étant développée (plus de 30 000 employés, des contrats avec quelque 500 sociétés privées) – de nouvelles inquiétudes sont apparues à propos de la collecte de masse de données personnelles des citoyens.
Et Barack Obama qui, à son arrivée au pouvoir avait promis de réduire les effectifs du renseignement, semble plutôt être devenu son principal instigateur.
En mai dernier, Edward Snowden, 29 ans, analyste réseau américain chez Booz Allen Hamilton – entrepreneur de la NSA -– a quitté son poste en emportant une mine de documents secrets du gouvernement, qu’il a partagés avec Glenn Greenwald, journaliste américain du journal britannique The Guardian. Détracteur de longue date de la communauté du renseignement américain, Greenwald a commencé à publier des articles basés sur les informations contenues dans les documents de Snowden.
ll est vite devenu évident que ce que l’on pensait savoir ou qu’on imaginait sur les activités de la NSA (et leurs incidences sur le droit au respect de la vie privée) n’est rien comparé à la réalité. Les révélations de Snowden incluent des informations sur un programme américain de surveillance baptisé PRISM, dans lequel la NSA a collecté des données à caractère privé sur les utilisateurs via des serveurs de sociétés de réseaux comme Google, Facebook, Apple, AOL, Yahoo, et autres. Y compris les copies de chats et emails via des sociétés comme Skype et Hotmail.
L’agence a procédé à cette collecte grâce à l’installation de “séparateurs à fibre optique” sur les “backbones » d’information de ces sociétés, essentiellement en créant un miroir de tout ce qui est passé par ceux-ci.
Au printemps dernier, selon de nouvelles révélations, la NSA a demandé et obtenu une ordonnance secrète de la Cour de surveillance du renseignement extérieur (FISC) pour s'engager dans la collecte en vrac de «métadonnées» d’appels de millions d'utilisateurs de téléphones portables Verizon.
Les métadonnées d’appels téléphoniques comprennent les numéros de téléphone de la personne passant l’appel et du destinataire de l’appel, ainsi que tout autre information sur les parties impliquées. Des arrangements pour le partage de métadonnées similaires ont été signalés entre la NSA et d'autres entreprises de téléphonie cellulaire aux États-Unis, y compris ATT et Sprint.
Il s'avère que la NSA a effectivement payé ces entreprises des centaines de millions de dollars en échange du droit de passer au peigne fin leurs dossiers. Selon USA Today, l'espoir de la NSA était «de créer une vaste banque de données de tous les appels comme jamais auparavant » dans le pays.
L’argument de la NSA est que ces données sont essentielles pour des enquêtes sur le terrorisme international. Des partisans de la liberté civile rétorquent que ce même modèle peut être appliqué à la vie privée de citoyens innocents, en particulier depuis que le gouvernement n'est pas obligé de détruire les données une fois qu'il les a analysées. Cela, disent-ils, est réalisé en flagrante violation de la vie privée.
À la mi- été, un autre programme de la NSA a vu le jour, celui-ci visant le contenu de divers types de communications. Baptisé XKeyscore, le programme permet de filtrer et d’analyser tous les courriels et autres. Selon Greenwald du Guardian, XKeyscore permet à n’importe quel employé de la NSA « d’avoir accès au contenu des courriels d'une personne, à l'historique des sites qu'elle a visités, à tous les appels téléphoniques, à l’historique de navigation, aux documents Microsoft Word. Et tout cela se fait sans avoir besoin d'aucune autorisation préalable d'un juge ou d’un supérieur ».
Selon d’autres révélations plus récentes, des millions de portables européens ont été placés sur écoute au cours de la dernière décennie, notamment le portable de la chancelière allemande, Angela Merkel . Les appels téléphoniques de la chancelière auraient été enregistrés depuis au moins 2001, quand elle était une étoile montante du Parti démocrate-chrétien.
Le programme prévoyait des surveillances téléphoniques d’une grande ampleur en France; on constate que sur une période de trente jours, se terminant en décembre dernier, 70 millions d’enregistrements de données téléphoniques des citoyens français ont été effectués par la NSA.
La réaction sur le Continent a été rapide et prévisible. Merkel a affirmé que la confiance était rompue, et que « s'espionner entre amis n'est pas du tout acceptable ». En France, le président François Hollande a transmis à l'ambassadeur américain une plainte officielle. Les Allemands et les Français ont dit qu'ils appuieraient une nouvelle série d'accords internationaux visant à fixer des limites à l’espionnage américain de données.
Les catholiques ont dressé l’oreille quand un journal italien a rapporté que la NSA avait même surveillé les appels entrant et sortant de la Maison Sainte-Marthe, dans les jours et semaines précédant le conclave qui a abouti à l’élection du Pape François. Bien entendu, le cardinal Jorge Mario Bergoglio a séjourné à la résidence Sainte-Marthe avant le conclave, aussi on peut supposer que même ses conversations auraient été écoutées.
La NSA a fermement démenti le rapport de l’hebdomadaire italien Panorama, et pour sa part, le Vatican a refusé de prendre au sérieux l’affaire. “Nous n'avons aucune information à ce sujet et de toute façon nous n'avons aucune inquiétude", a réagi le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi.
La tension entre les droits individuels, y compris la vie privée, et la tendance du gouvernement à amplifier sans cesse sa collecte de données a longtemps été une caractéristique de la république américaine…
Une chose est sûre, c’est que les gouvernements n’ont pas seulement le droit mais la responsabilité de recueillir des renseignements secrets, afin de défendre le corps politique contre ceux qui voudraient lui faire du mal. C'est très clairement le cas quand il s'agit de renseignement étranger.
Le mois dernier, Angela Merkel a bien tenté de faire valoir qu’on ne doit pas s’espionner entre amis. Elle a oublié, ce qui l’arrangeait, le truisme attribué à Lord Palmerston, à savoir que « les pays n'ont pas d'amis, ils ont des intérêts ». La relation entre les deux nations, si étroite soit-elle, n'est tout simplement pas similaire à une véritable amitié entre deux personnes. Au mieux, ces relations, comme celle entre les États-Unis et l’Allemagne, sont des amitiés, des alliances d'utilité pratique dans la poursuite d'objectifs communs.
Certes, les gouvernements ont la responsabilité d'adopter un comportement éthique les uns envers les autres, et ils devraient toujours fonctionner conformément aux règles du droit international. Mais rien ne dit que l’espionnage américain sur Angela Merkel ait constitué une violation ni de l’éthique ni du droit.
Dans son témoignage donné devant le Congrès, James Clapper, directeur national du renseignement américain, a fait remarquer que « les intentions de leadership sont une sorte de principe de base de ce que nous collectons et analysons ». En effet, si le terme « renseignement étranger » signifie quelque chose, il signifie que, même la perspective de la NSA d’écouter des délibérations pré-conclave est prévisible.
Le Vatican est une cité-état indépendant, et le Successeur de Pierre détient un pouvoir normatif considérable. Par conséquent, en plus d'être une importante cérémonie religieuse, un conclave papal est un événement politique significatif. On s'attendrait à ce que des gouvernements, y compris les Etats-Unis, auraient intérêt à lire les augures papaux.
Ce qui est différent et dérangeant en ce qui concerne les programmes NSA révélés par Edward Snowden, c’est le degré de contrôle exercé sur les données privées et personnelles des citoyens américains qui, à la différence des dirigeants étrangers, attendent de leur gouvernement qu’il agisse avec une retenue constitutionnelle…
Certains diront que les gens sont protégés par de bonnes intentions, même si les méthodes actuelles peuvent contourner certaines dispositions constitutionnelles. Mais l'histoire est truffée d'exemples de bonnes intentions transformées en tyrannie. En outre, les données effectivement collectées peuvent créer de nouvelles possibilités d'abus en étant à disposition des autorités gouvernementales. « Le mal qui est dans le monde,” écrivait Albert Camus, « vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée ».
D’autres prétendront que ces programmes sont justifiés en raison de leur efficacité pour déraciner les complots terroristes. Laissant de côté la question de savoir s’ils ont réellement produit les résultats escomptés, il s’agit là d’un argument conséquentialiste classique : la fin justifie les moyens. Mais la loi et l’éthique existent précisément pour réguler ces moyens…
Benjamin Franklin aurait dit: « Ceux qui abandonneraient la liberté essentielle pour acheter une peu de sécurité provisoire ne méritent ni la liberté ni la sécurité »…
En fin de compte, ce que beaucoup trouvent si irritant dans la collecte en masse par la NSA des données privée set personnelles des citoyens américains, c’ est le côté déréglé de tout cela, l'orgueil démesuré et le manque de retenue…
Ainsi, écrivez un mail à un ami au Pakistan, appelez votre sœur à Vancouver, ou publiez juste un statut sur Facebook en incluant le mot “terrorisme”, et la NSA s’intéressera à vous.
Dans les années 1970, le “United States Senate Select Committee” chargé d’étudier les opérations gouvernementales en matière d'activités de renseignement, présidé par le sénateur Frank Church, a mené des enquêtes et auditions qui ont mis en lumière l'histoire sordide de la CIA de l'après-guerre.
Des changements importants ont été apportés dans la façon de travailler de la communauté du renseignement. Ces changements ont inclus l'adoption de la Loi sur la surveillance du renseignement étranger (FISA), qui a établi le FISC.
Quelque chose de semblable se prépare peut-être aujourd’hui avec, qui sait, la NSA sur le banc des accusés. Nous pourrions avoir à réapprendre les leçons tirées du travail de la Commission Church (ndt: du nom du sénateur Church): à savoir que seules des protections clairement définies par la Constitution, le contrôle énergique et impartial par des organismes comptables de leurs actions devant le peuple, et le recrutement de professionnels sérieux possédant de solides valeurs éthiques peuvent prévenir les types d'abus de pouvoir que les révélations de Snowden laissent seulement soupçonner.
Traduit de l’anglais par Elisabeth de Lavigne
(NB de l’éditeur français : Deux remarques : 1°) on peut aussi trouver désagréable que des citoyens non-américains mais tout aussi innocents soient massivement espionnés ; 2°) l’espionnage économique et industriel, qui n’est certes pas une exclusivité américaine, occupe très probablement une place majeure dans ces écoutes.)