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Les chrétiens en Europe sont-ils « discriminés » ?

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aleteia - publié le 06/11/13
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Attention aux mots que nous employons ! A proprement parler, c’est faux. Et demander à être toléré, c’est renoncer à être compris et donc à témoigner.
 
C’est un fait que les chrétiens ont de plus en plus de difficultés à vivre dans la société occidentale.
Tout d’abord, il y a un climat d’hostilité croissante envers le christianisme qui se manifeste notamment par les attaques verbales, blasphèmes et profanations qui sont devenus innombrables.
En outre, de nombreuses personnes, et en particulier les chrétiens, se heurtent de plus en plus à des normes sociales auxquelles ils ne peuvent consentir en conscience. Ces normes portent sur la morale.
On observe un phénomène croissant en Europe de limitation des droits des chrétiens. Leur liberté d’expression est limitée par des normes incriminant l’incitation à la haine ou à la discrimination ; leur liberté de manifestation (par exemple contre l’avortement) est réduite ; leurs droits parentaux éducatifs sont empiétés par l’État.
 
La spécificité des églises est contestée : elles sont parfois considérées comme de simples employeurs privés n’ayant pas le droit d’effectuer une sélection de leur personnel selon des critères religieux ; on conteste aux cliniques et praticiens catholiques le droit de refuser la pratique de l’avortement ; des salariés et fonctionnaires sont licenciés en raison de leur conviction qu’une famille ne peut être fondée que sur l’union d’un homme et d’une femme ; les agences catholiques d’adoption au Royaume Uni doivent fermer pour ce même motif ; la République française prétend imposer l’inscription de sa devise sur le fronton des écoles confessionnelles, etc.
 
L’avortement et l’homosexualité sont les principaux motifs, mais non les seuls, de conflit entre les chrétiens et le pouvoir politique.
 
Pourtant, est-ce de la discrimination ?
 
La discrimination (dans le sens contemporain) est une violation du principe d’égalité, c’est le fait de priver une personne d’un droit ou d’un bien en raison d’un caractère particulier, par rapport à une autre personne placée dans la même situation. L’exemple typique est le fait de refuser d’embaucher une personne au seul motif de son sexe ou de sa religion, alors que rien ne prouve que ces caractères personnels puissent faire obstacle à la bonne réalisation de son travail. Le refus d’embaucher un musulman pratiquant dans une charcuterie ne serait pas une discrimination, mais le deviendrait dans le cas d’une librairie généraliste.
 
Alors, peut-on dire que les chrétiens européens font l’objet de discriminations ? Sont-ils privés de certains biens ou de l’exercice de certains droits en raison de leur religion ? Certainement, mais de façon insidieuse et rarement officielle. De vraies discriminations contre les catholiques, comme ce fut le cas lors de la crise anticléricale de la IIIè République, il en reste peu dans le droit français. J’en vois une : l’interdiction faite aux religieux d’enseigner dans les établissements publics du premier degré. C’est bien là une rupture de l’égalité en raison de la religion. Il n’est pas prouvé qu’un religieux incapable d’enseigner.
 
Disons le clairement : la laïcité et la liberté religieuse, en mettant toutes les religions à égalité ont plutôt eu pour effet de supprimer les discriminations en fonction de la religion. A part le cas mentionné plus haut, en théorie, toute personne peut accéder aux fonctions administratives et électives quelle que soit sa religion. Par contre, que ses convictions morales ou religieuses l’empêchent d’assumer l’ensemble de ses obligations professionnelles, c’est une autre question.
 
En réalité ce sont plutôt les chrétiens qui souhaitent pouvoir discriminer, et qui sont sanctionnés pour ce fait. Plus généralement, les chrétiens, comme les adeptes d’autres religions, aimeraient ne pas avoir à respecter certaines lois contraires à leur religion ou qui heurtent leur conscience. Une jeune musulmane exclue de l’école publique parce qu’elle porte le voile est-elle discriminée ? N’est-ce pas plutôt elle qui se prive du bien de l’instruction en refusant de se conformer à « l’égalité » imposée par la laïcité ? Un objecteur peut-il se prévaloir de ses propres conceptions morales et religieuses pour refuser l’application de la loi ? Peut-il se prétendre discriminé si la loi lui est appliquée, comme à toute autre personne ? L’égalité n’est-elle pas dans l’application uniforme de la loi républicaine ?

 
De fait, le concept de non-discrimination est une impasse, car il est fondé sur une égalité abstraite : le vrai problème n’est pas dans une volonté réelle ou supposée de discriminer les chrétiens, mais dans le fait que la loi s’éloigne de la justice et qu’elle envahi tous les domaines de l’existence. Ce ne sont pas les chrétiens qui seraient devenus brusquement moralisateurs, c’est la loi qui s’est mise à faire de la morale, plus encore, qui prétend être la morale commune. La véritable question est celle de la définition de la justice et de la source de la morale publique. Ce que certains perçoivent comme une « discrimination antichrétienne » n’est autre que la violence avec laquelle une autre « morale » prétend remplacer l’anthropologie chrétienne.
 
L’anthropologie est devenue politique, elle est devenue du droit avec l’irruption des droits de l’homme, car ces derniers expriment une définition de l’homme. En déterminant ses droits fondamentaux, c’est l’homme lui-même qui est défini. Ainsi en modifiant ses droits, il est possible de modifier la définition sociale de l’homme. C’est la raison pour laquelle tous les débats anthropologiques sont traduits en termes de droits de l’homme et portés devant les juges. Ainsi, il appartient aux politiques et aux juges des droits de l’homme de révéler l’homme à lui-même en découvrant ses caractères anthropologiques et les droits qui y sont associés. Il s’agit notamment de révéler à l’homme l’étendue de sa propre liberté.
 
À la différence d’une loi ou de décision de justice ordinaires, l’affirmation d’un droit de l’homme s’impose comme une progression dans la vérité. Il n’y a pas de liberté de conscience face aux droits de l’homme : nul ne peut dire je ne crois pas aux droits de l’homme.
Lorsque le juge ou le politique redéfinissent la vie, la mort, la famille, le mariage, ou encore la personne, ils n’affectent pas seulement le droit, mais aussi notre perception de la réalité, et par suite de la vérité. Par exemple : quand le droit dit qu’un enfant a deux pères (suite à une adoption), est-ce vrai ? Est-ce la réalité ? De quelles réalités parlons-nous : la réalité vraie ou la réalité fictive mais néanmoins légale et par suite contraignante ? Peut-on dire d’un homme qu’il est une femme, et doit-on le croire -en vertu des droits de l’homme- dès lors qu’il le demande ? L’homme, la femme, le fœtus, le mariage, la famille, la vie, la mort, la moralité ne sont-elles que des « notions » au pouvoir de l’homme ?
Ces droits donnent à l’homme la liberté du fou : celle de ne plus être contraint par la réalité, néanmoins ils prétendent définir la vérité et sont appuyés par la force de l’autorité publique.
 
Lorsqu’il subit cette folie, un chrétien peut-il encore se prétendre discriminé ?
 
Certains chrétiens perçoivent comme une discrimination à leur égard ce qui est une injustice en soi. Ainsi, lorsqu’une infirmière doit pratiquer un avortement, où est la cause première de l’injustice ? Dans la contrainte ou dans l’avortement ? Pour qu’existe une discrimination, il faut que les situations comparées l’une à l’autre soit moralement équivalentes. Une infirmière objectrice licenciée pourra se dire discriminée à la condition de considérer son choix comme équivalent au choix inverse de pratiquer l’avortement. En effet, pour qu’une différence de traitement constitue une discrimination, il faut que les situations en cause soient similaires. De même, lorsque le juge estime que des couples de même sexe sont discriminés par rapport aux couples hétérosexuels, c’est parce qu’il  présuppose l’équivalence de ces deux types de couples.

Par suite, une personne qui se plaindrait d’être discriminée en raison de ses convictions s’inscrirait d’elle-même dans le paradigme libéral relativiste. Elle serait en pure contradiction puisqu’elle prétendrait imposer à la société son jugement personnel au nom de l’équivalence des jugements de conscience. Elle demanderait le respect de son intolérance au nom de la tolérance.
Une telle approche est certainement vouée à l’échec. Dans notre culture subjectiviste, peuplée de sujets supposés irrationnels, la conscience individuelle a perdu toute son autorité, si bien que la loi serait la seule norme morale sociale objective admissible et praticable : la pensée unique.
 
Il ne faut pas chercher à entrer dans le concert des minorités opprimées. Demander à être toléré, c’est renoncer à être compris et donc à témoigner. « Islamophobie », « homophobie », « christianophobie » : même combat ? Certainement pas. L’injustice particulière que certains chrétiens subissent est la conséquence d’une injustice plus grande tenant à la définition même de l’homme. Il faut garder à l’esprit que le devoir des chrétiens n’est pas de se faire une existence à l’abri des ennuis, mais de témoigner pour tous. Le combat porte aujourd’hui sur la détermination de la source de la morale, dont le monde essaie de déposséder les consciences et l’Eglise.
 
L’affirmation publique de la conscience, et de celle des chrétiens en particulier, est plus que jamais nécessaire pour préserver sa liberté, pour maintenir sa légitimité sociale et sa résistance face à toutes les injustices faites loi. Et elle est surtout nécessaire pour témoigner qu’il existe une justice et une vérité au-delà des lois positives adoptées par des majorités politiques de circonstance.

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