Réjouissons-nous de la popularité du pape François et du buzz qu’elle engendre mais sans succomber aux approximations médiatiques.
Il n’y a visiblement pas besoin d’être vaticanologue chevronné ou vaticaniste averti pour écrire une chronique sur le Pape François, au vu des innombrables éditoriaux dont il a déjà fait l’objet, jusque dans Libé. Candide s’émerveille des effets produits par le style et la prédication du nouveau Pontife, surtout chez les catholiques eux-mêmes. Il n’en finit pas de s’étonner des lectures étranges qu’en font les fils de l’Eglise.
Cela faisait longtemps que la côte de popularité du Pape n’avait pas atteint de tels sommets. Après tout, il est normal que tout nouvel élu ait droit à sa lune de miel. Mais à force de côtoyer les sommets, on s’interroge sur cette longévité, qui met loin derrière le buzz le mieux réussi. Alors chacun y va de son analyse pour expliquer ce que le Pape a dit, ce qu’il a voulu dire, ce qu’il dira et comment il le dira, ce qu’il est en train de faire, ce qu’il pourrait faire…
Ce Pape « commence en effet à poser un sérieux problème » : il n’est pas prévisible, jamais où on l’attend… un po’ furbo, comme il le dit lui-même. Comme si cela devait faire partie des qualités papales. Après tout, plutôt que de demander ce que cela signifie « avoir élu un pape jésuite », il suffit de regarder. Et puis, cette malice à déjouer les pronostics n’est pas à relier d’abord à un tempérament : si le nom du cardinal Bergolio est arrivé, c’est que peut-être le Saint Esprit y est pour quelque chose. Pas la peine d’évoquer la foi en la troisième personne de la Sainte Trinité si l’on n’est pas prêt à se laisser désorienter : le vent souffle où il veut, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va… ! Candide se dit qu’il n’est donc pas forcément utile de chercher à saisir le vent.
Ecclesia semper reformanda est. De ses études, Candide a retenu que l’Eglise sainte, composée de pécheurs, devait toujours se convertir. Que le nouveau Pape s’y attache ne l’étonne donc guère, ce n’est ni la première fois, ni sans doute la dernière. Seulement, chacun ayant son idée sur la réforme nécessaire, les commentaires pleuvent, comme si les choses allaient aller plus vite, ou plutôt comme s’il fallait aider le pape dans sa tâche. Il n’est pas rare d’entendre dire qu’il apprend son métier de pape, que bientôt ce sera beaucoup mieux, qu’il ne maîtrise pas encore bien la communication, un peu comme quand on essaye un nouveau jouet télécommandé. Certains ne craignent pas de lui expliquer très sérieusement ce qu’il devrait faire. Mais Candide se dit que, plutôt qu’une lettre, il sera plus efficace de prier pour le pape, comme il l’a si souvent demandé.
Candide apprécie de laisser bousculer et reste souvent touché par les paroles du pape, comme si elles avaient été prononcées précisément pour lui. Il ne comprend pas pourquoi il faut promptement et à tout prix expliquer qui était visé par telle homélie du Saint-Père. N’est-il pas assez explicite dans ses discours, manque-t-il de clarté dans ses audiences ? Pourquoi faut-il toujours que l’on repère les mots qui sont destinés… aux autres ? S’il est très charitable de penser à la conversion des autres, manque-t-on à ce point de matière dans ce magistère tout frais pour essayer de se convertir soi-même ?
Candide a remarqué la pratique de la lecture ou l’audition sélective du pape. En oubliant les vertus de la stereo, on risque de ne rechercher qu’une approbation confortable de sa propre vision ou de ses convictions personnelles. Deux exemples. D’une part, l’avènement d’une Eglise pauvre au service des pauvres si fortement désiré par le Pape François n’a pas manqué de marquer les esprits et les cœurs. Cet impératif demeure inséparable de l’annonce de Jésus-Christ crucifié, sans laquelle le christianisme serait vidé de sa substance et l’Eglise serait réduite à une association philanthrope, une sympathique ONG en somme, mais pas l’Eglise de Jésus-Christ. Comment ne pas sentir par là le besoin de revisiter certaines pratiques qui relèvent plus d’un certain humanitarisme social plus que de l’Evangile ? D’autre part le rappel par le pape, en bon « fils de l’Eglise », de la nécessité de promouvoir une « culture de la vie » ou de la dignité de la personne dès sa conception, ne saurait faire oublier l’insistance pour que l’évangélisation ne se limite pas au rappel de quelques normes morales. Ce ne sont pas les règles qui convertissent, mais bien l’amour du Christ vécu et témoigné. L’enseignement de la doctrine ne peut être disjoint de l’amour du frère. Le « bien-pensant » doit veiller à ce que la défense des « bonnes idées » ne se marie pas avec la culture de l’indifférence.
Candide a compris qu’il est question d’une lutte, mais il n’est pas sûr d’avoir compris qu’il s’agissait d’abord de la Curie romaine, ce qui l’exempterait à bon compte du devoir de changer lui aussi. Le combat n’est-il pas d’un autre ordre ? Combien de fois en effet le Pape François n’a-t-il pas fait allusion au combat spirituel dans lequel tout chrétien doit accepter d’être plongé ? L’adversaire, plusieurs fois nommé, est d’abord l’ennemi de la nature humaine, père du mensonge. Le dépouillement radical auquel nous sommes résolument appelés conduit à la traque de la mondanité spirituelle et de l’orgueil, et finalement à la mort du vieil homme. Cette traque passe nécessairement par la démolition de nos idoles. L’argent est souvent nommé le premier, le pouvoir, le plaisir, l’égoïsme qui conduit à l’indifférence, mais aussi tous les attachements désordonnés sous des apparences vertueuses. Les rites liturgiques ou le sacerdoce lui-même ne peuvent-ils pas devenir aussi des idoles lorsque, de moyens qu’ils sont, ils deviennent des fins en soi ?
Candide a bien ri lorsque le pape a demandé aux gendarmes pontificaux surprenant des personnes en flagrant délit de médisance de bien vouloir les reconduire à la frontière du Vatican. Il a bien compris que personne n’était vacciné contre ce fléau, tentation diabolique contre l’unité, guerre civile et spirituelle qui se mène avec la langue. Candide se dit que le murmure et la critique, fussent-ils sacerdotaux, sont des armes toujours dirigées contre Dieu.
« Qui suis-je pour juger la personne homosexuelle de bonne volonté qui recherche Dieu ? » Mais qui a dit qu’il s’agissait d’une réhabilitation de l’homosexualité ? Candide n’a pas oublié que nos péchés les plus graves ne sont pas d’ordre sensible, mais bien spirituel, liés à l’endurcissement du coeur. Le démon n’est pas homosexuel ! Candide pense à quelqu’un d’autre lorsqu’il entend : « Mais qui est cet homme qui fait bon accueil aux pécheurs ? » Il est toujours plus facile de pointer du doigt les situations objectivement désordonnées que de s’attaquer à sa propre conversion ! Et si le pape avait dit: « Qui suis-je pour juger l’orgueilleux, le cupide, le jaloux, le rancunier, le vaniteux, l’égoïste, le paresseux … sincère et qui cherche la volonté de Dieu ? »
Enfin, Candide entend les craintes suscitées par la volonté du Pape de faire place à plus de collégialité et de concertation dans l’Eglise, comme si ce vent de démocratie mettait en péril la barque de Pierre. Mais il a aussi lu que le Pape ne niait pas son penchant autoritaire, voire même son tempérament de « petit dictateur ». Là encore, faut-il rappeler qu’un pape jésuite « canal historique » aura forcément une conception assez lumineuse de l’obéissance. D’autres papes avant lui ont gouverné avec une « équipe resserrée », sans pour autant que l’histoire ait retenu leur populisme. Candide pense en particulier à saint Pie X…
A plusieurs reprises le Pape François a parlé de la nécessité de se savoir se laisser surprendre par Dieu et d’accueillir ses surprises. Alors Candide a décidé de garder l’espérance et de cultiver la joie, parce que le chrétien n’est jamais triste. Il sait que l’Esprit Saint donne à l’Eglise les Pasteurs dont elle a besoin à chaque période de l’histoire. Avec le Pape François, il n’est jamais tranquille, mais il ne perd pas la paix.