Une interview du futur Secrétaire d’Etat du pape François agite les médias : l’Eglise catholique renoncerait au célibat sacerdotal ! Qu’en est-il ?
RTL, Europe 1, TF1, BFMTV…ils sont venus, ils sont tous là, les poids lourds médiatiques, pour annoncer que le Vatican « bouge » sur le célibat des prêtres, au grand soulagement de Madame Michu, pensez, « depuis-le-temps-qu’elle-attendait-ça ! » Enfin l’Eglise « avance » ! Bref le serpent de mer revient avec l’une des fixations favorites des medias (preuve a contrario que le célibat sacerdotal « interpelle » comme on dit).
Objet de toute cette agitation : quelques lignes dans une interview que Mgr Pietro Parolin, actuellement nonce à Caracas (Venezuela) mais prochain Secrétaire d’Etat (le 15 octobre) en remplacement du cardinal Bertone, a accordée à un quotidien de Caracas, et au site Terre d’America Les voici, traduites par le site Benoît et moi :
«On peut parler, réfléchir et approfondir ces questions qui ne sont pas des définitions de la foi, et penser à quelques changements, mais toujours au service de l’unité et tout selon la volonté de Dieu … Dieu parle de nombreuses façons. Nous devons prêter attention à cette voix qui nous oriente sur les causes et sur les solutions, par exemple la pénurie de clergé. Donc, il faut garder à l’esprit, au moment de prendre des décisions, ces critères (la volonté de Dieu, l’histoire de l’Eglise), ainsi que l’ouverture aux signes des temps ».
Mais ajoute-t-il, ce sera au pape de prendre -sur ce sujet et d’autres (la corruption, la pédophilie)- une décision, étant entendu que le Pape « détient le ministère de l’unité, et toutes ces décisions doivent être prises comme un moyen d’unir l’Église, non de la diviser».
Interrogé au sujet de cette déclaration par BFMTV, Mgr Bernard Potdvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France, a souligné ce point : « c’est au pape qu’appartient la décision », tout en rappelant qu’à aucun moment le futur Secrétaire d’Etat n’annonce que « ça va changer ». « On n’est pas dans la négociation », a ajouté Mgr Potdvin, qui a évoqué par ailleurs les bienfaits du célibat pour le sacerdoce et les interventions des précédents papes Jean Paul II et Benoît XVI pour redire l’attachement de l’Eglise au célibat des prêtres.
Quant à la question des vocations sacerdotales (qui semble soudainement inquiéter beaucoup les médias…), Mgr Potdvin a rappelé que le nombre de prêtres augmentait dans le monde et que ce n’était certainement pas la levée de la discipline du célibat qui allait doper les vocations dans les pays occidentaux où elles sont en berne. Le célibat, a-t-il expliqué, n’est pas à comprendre en terme de « privation » mais de « consécration ».
Autre mise au point utile, celle du journaliste et essayiste Gérard Leclerc sur le site atlantico :
« Les propos du nouveau numéro deux du Saint-Siège ne sont pas une révélation. On a toujours su que le célibat des prêtres était une question de discipline ecclésiastique. A l’intérieur même de l’Église catholique, des "secteurs" orientaux comptent en leur sein des prêtres mariés. » Dans le même entretien, Gérard Leclerc rappelle aussi que sous Benoît XVI, sans préjudice pour la règle générale du célibat, des prêtres anglicans mariés ont été acceptés dans l’Église.
Cependant, ajoute notre confrère, « Chez les Orthodoxes et les Catholiques de rites orientaux, le sacerdoce se fait « à deux vitesses ». Les prêtres mariés ne peuvent accéder à l’épiscopat. Seuls les moines, qui sont célibataires, le peuvent. »
L’évolution de l’Eglise -fondée sur l’expérience- pousse à la consolidation du célibat entériné par le Concile de Trente au XVIe siècle plutôt qu’à sa dissolution : « Le mariage des prêtres pose des problèmes, souligne à ce propos Gérard Leclerc, ne serait-ce que dans l’éducation des enfants. Les pasteurs protestants le savent. (…) Un problème de double autorité du père se pose. De par son sacerdoce, il aura des relations difficiles avec ses enfants, qui auront du mal à s’identifier à un père dont l’autorité excède celle des pères dits normaux. (…) Il se trouve qu’une évolution irréversible amène au célibat sacerdotal. Ce que dit Saint Paul du célibat, par exemple, permet de comprendre beaucoup de choses. Pour ces raisons, revenir dessus semble très difficile. »
Gérard Leclerc rappelle aussi que l’épiscopat du monde entier s’est prononcé à une très large majorité en faveur du maintien de la discipline du célibat sacerdotal lors de synodes sur le sacerdoce.
Avec le site Benoît et moi, rappelons enfin ce que le prédécesseur du pape François déclarait en 2010 lors d’une audience aux participants au colloque théologique organisé par la congrégation pour le clergé :
« L’horizon de l’appartenance ontologique à Dieu est aussi le juste cadre pour comprendre et réaffirmer, encore aujourd’hui, la valeur du célibat sacré, qui dans l’Église latine est un charisme requis pour l’Ordination Sacrée (cf. Ordinis, 16) et est tenue en haute estime dans les Églises orientales .
Il est authentique prophétie du Royaume, signe de consécration au Seigneur avec un cœur sans partage au Seigneur et aux «choses du Seigneur», expression du don de soi à Dieu et aux autres … »
On trouvera plus de développement sur le célibat sacerdotal dans ces propos adressés du cardinal Josef Ratzinger au journaliste Peter Seewald publiés en 1997 dans le livre "Le Sel de la terre" (traduit aux éditions du Cerf, 2005). En voici quelques morceaux choisis :
« À l’origine [du célibat des prêtres], il y a une parole du Christ. Il y a, est-il dit, ceux qui renoncent au mariage au nom du royaume des cieux et qui de toute leur existence témoignent du royaume des Cieux. L’Église est arrivée très tôt à la conviction qu’être prêtre signifie donner ce témoignage. (…)
Le renoncement au mariage et à la famille doit être compris de ce point de vue : je renonce à ce qui est humainement non seulement le plus normal, mais aussi le plus important. Je renonce à fournir de la vie à l’arbre de vie, à avoir ma propre terre de vie, et je crois que mon pays est réellement Dieu – et ainsi je rends crédible aux autres l’existence du royaume de Dieu.
Le célibat a donc en même temps un sens christologique et apostolique. Il ne s’agit pas seulement d’économiser du temps – j’ai un peu plus de temps à ma disposition parce que je ne suis pas père de famille -, cela serait une vue trop primitive et trop pragmatique. Il s’agit vraiment d’une existence qui mise tout sur la carte de Dieu et abandonne ce qui seul rend en principe une existence adulte et lui donne de l’avenir.
Ce n’est certainement pas un dogme. C’est une habitude de vie, qui s’est formée très tôt dans l’Église pour des motifs fondés, tirés de la Bible. De nouvelles recherches montrent que le célibat remonte encore bien plus loin que les sources juridiques connues ne le disent, jusqu’au IIème siècle.
Ce qui révolte aujourd’hui les gens contre le célibat, je crois, c’est de voir que tant de prêtres ne l’admettent pas en eux-mêmes, le vivent hypocritement, ou mal, ou pas du tout, ou au milieu de grands tourments…
(…) dans les époques où le célibat est en crise, le mariage l’est également. Car aujourd’hui nous ne sommes pas confrontés aux seules ruptures du célibat, le mariage lui-même, comme base de notre société, est de plus en plus fragile. (…) La difficulté de vivre vraiment le mariage n’est pas moindre, en fin de compte. Pratiquement parlant, tout ce que nous obtiendrions après l’abolition du célibat, ce serait une autre sorte de problématique, celle du divorce des prêtres. L’Église protestante ne l’ignore pas. (…) »
« Je crois, et d’après le résultat du dernier synode épiscopal c’est la conviction de la grande majorité des évêques, que la véritable question est la crise de la foi. En cédant sur ce point, nous n’aurions pas des prêtres plus nombreux et meilleurs, mais nous masquerions cette crise et nous obtiendrions malhonnêtement des solutions par un moyen illusoire.
Il ne faut cependant pas considérer comme tout à fait absolue une habitude de vie de l’Église, si profondément ancrée et fondée soit-elle. Il est certain que l’Église devra toujours se poser la question, elle vient de le faire lors de deux synodes.
Mais je pense (…) que l’Église n’aurait pas grand-chose à gagner en s’orientant vers cette dissociation ; elle perdra beaucoup si elle le fait. »