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Les Borgia sur Canal + : histoire ou fiction ?

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L'1visible - publié le 09/04/13
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Diffusion d’une série au parfum de scandale sur les Borgia. Qu’en dit l’Histoire ?


Questions à Philippe Martin *, historien, Professeur d’histoire moderne à l’Université Lyon II, 
par
Lili Sans-Gêne (cette journaliste s’est toujours intéressée aux questions religieuses.Elle pose sans complexe les questions que beaucoup n’osent pas poser).

En partenariat avec l’1visible

On voit dans cette série que le cardinal Rodrigue Borgia a intrigué pour devenir pape : il a acheté les membres du conclave ! Vrai ou faux ?

C’est vrai. Rappelons qu’à cette époque – et ce depuis le Moyen Âge – un haut prélat a une double responsabilité : il est chef spirituel et seigneur temporel. À ce titre, il peut lui arriver de se comporter comme le pire des laïcs. C’est d’autant plus vrai que, pour beaucoup, entrer dans les ordres, c’est alors avant tout avoir un titre, une position sociale et des revenus, pas toujours l’aboutissement d’une réflexion spirituelle.

Pour nous, avoir cette double responsabilité est une confusion des genres mais, à l’époque, cela semblait normal.

Alexandre VI avait de nombreuses maîtresses, il était arriviste, manipulateur et violent. Et Il a même commandité des assassinats. Vous parlez d’un pape !

Alexandre a été tout cela. Et il n’est pas le seul malheureusement : au XVe et XVIe siècles, une partie du haut clergé ne suit plus les règles de vie ecclésiastique. Alexandre a des maîtresses et des enfants, comme Innocent VIII avant lui avait eu deux fils, et Jules II, après lui, trois filles. En 1486, une bulle interdit aux ecclésiastiques de tenir « des cabarets ou des lupanars » : c’est dire !
Alexandre VI a sans doute commandité des assassinats, mais lui-même a été la cible de plusieurs assassins. Cela n’excuse rien, mais ce pape était celui de son époque et il en a épousé les vices.

Ce pape était un homme politique, pas le chef de l’Église !

Alexandre a sans doute été plus chef politique que chef spirituel. Mais n’oublions pas qu’il est à la tête des États pontificaux et qu’il doit les défendre contre les convoitises de puissants voisins : la France et l’Espagne. Il doit également maintenir la sécurité à Rome dans une période très tourmentée. De grandes familles, les Colonna ou les Orsini, entretiennent de véritables armées pour défendre leurs intérêts et détruire leurs adversaires. N’oublions pas qu’en Italie, à l’époque d’Alexandre, il y a en moyenne 25 complots politiques par an ! Pas facile de gouverner dans ces conditions…

Avait-il la foi ? Qu’a-t-il fait pour l’Église ?

Alexandre VI est un personnage complexe. Savez-vous qu’il avait une grande dévotion pour la Vierge ? C’est lui qui a confirmé le décret de Sixte VI sur l’Immaculée Conception ; lui aussi qui a favorisé la récitation régulière de la prière de l’Angélus. En 1497, après l’assassinat de son fils Juan, il lance un vaste programme de réforme du clergé : limiter les revenus des ecclésiastiques, diminuer le nombre de leurs serviteurs, supprimer la vénalité des offices à la Curie, interdire d’entretenir des concubines, etc. Certes, cette réforme n’a finalement pas été réalisée, mais on ne peut pas dire qu’il se désintéressait de l’Église. Il est juste aussi de constater que ce pape, qui vivait une vie de débauche, n’a paradoxalement jamais entraîné l’Église dans l’erreur sur le plan de la doctrine. Par ailleurs, à la même époque, d’autres portent une ambition de pureté évangélique. En particulier saint François de Paule (1416-1507), qui fonde l’ordre des minimes – les « plus petits », nom à l’image de leur idéal d’humilité.

Que dire de ses enfants, alors ? Son fils, César, semble avide de pouvoir et sanguinaire…

Pour ses contemporains, César est avant tout un grand chef de guerre, celui qui soumet une grande partie de l’Italie pour le compte du roi de France et qui défend les États pontificaux. Certes, il est brutal, envieux et luxurieux, autant que tous les autres princes de son époque. Ce n’est pas une excuse mais il faut voir les choses dans leur contexte.

Sa fille, Lucrèce, est une débauchée. Elle a même des relations incestueuses avec son père et son frère…

Lucrèce a eu certes une vie très légère, mais elle est avant tout un instrument politique aux mains de sa famille. Sait-on qu’un ambassadeur de la Renaissance appelle les princesses du « matériel diplomatique » ? Lucrèce est mariée – trois fois – au gré des intérêts du clan Borgia. Finalement, en novembre 1501, elle épouse Alphonse d’Este, duc de Ferrare, et se retire dans les États de son mari. Elle y est une protectrice des arts, une bonne mère et une bonne chrétienne. Elle y meurt pieusement en 1519. Quant aux rumeurs d’inceste, elles n’ont jamais été prouvées.

La série de Canal + est-elle très bien faite sur le plan historique ?

Pourquoi voudrait-on qu’une œuvre de fiction soit un document scientifique ? Les créateurs eux-mêmes ne revendiquent pas cette qualité. Dans une interview, le réalisateur, Tom Fontana, assure : « Historiquement, on sait des choses sur les Borgia. Quant à ce qui est vrai, ce qui est la vérité, personne ne le sait. D’une part, on peut utiliser des indications historiques mais, au milieu de ça, il reste beaucoup de place pour faire des choix car les sources se contredisent ! » Il se trompe car on peut connaître la vérité. Mais, surtout, on notera qu’il revendique son droit à l’imagination, à broder sur l’histoire. Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction chez Canal +, dit la même chose quand il assure que, pour insister sur la complexité des personnages, le feuilleton « réinvente » les Borgia. La série se sert de l’histoire comme d’une toile de fond, mais la transforme, la moule dans des intrigues qui doivent plaire au public. Le but n’est pas son information ou sa culture.

Les Borgia ont eu un comportement qui nous choque, ils ont commis des crimes et vécu dans un luxe effréné.

Il ne faut pas le nier. Mais il est impossible de résumer une époque à cette simple vision. Surtout, il faut replacer ces comportements dans leur époque. Contextualiser n’excuse rien mais permet de comprendre.

Les Borgia sont quand même la preuve que l’Église est plus humaine que spirituelle !

Une légende noire est née autour des Borgia. Il faut comprendre que leurs ennemis politiques se sont emparé de leurs vices – au demeurant réels – et en ont fait la publicité pour les discréditer un peu plus. Plus tard, ce sont les protestants et les libres penseurs qui ont aussi instrumentalisé les Borgia pour attaquer la papauté et l’Église. Et pour les catholiques, ils sont devenus des figures emblématiques de comportements qui ont été rejetés lors du concile de Trente, au XVIe siècle.
Finalement, avec les Borgia, on réalise que l’Église est un vrai mystère : si elle était seulement humaine, n’aurait-elle pas disparu depuis longtemps avec de tels membres et de tels chefs ? Concernant la famille Borgia, n’oublions pas enfin un de ses illustres membres : François Borgia, arrière-petit-fils d’Alexandre VI, qui était Supérieur général des jésuites en 1565. Lui a été canonisé par l’Église !
 
 
Pour aller plus loin :
LES BORGIA,
de Marcel Brion, Tallandier., 2011, 6,90 ­
 
Philippe Martin a notamment écrit : Le théâtre divin. Une histoire de la messe. 16e – 20e s., ed. CNRS. Retrouvez Philippe Martin dans le numéro d’Histoire du christianisme magazine sur les Borgia. HISTOIRE DU CHRISTIANISME MAGAZINE N° 58
« Entre vérités et légendes le Vatican des Borgia ».

 

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